Ludovia 2017 Nouvelle Aquitaine

Penser l’activité avec l’empreinte du numérique

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Le monde numérique

A l’heure des applications, des clouds, du design thinking, des détournements des usages des réseaux sociaux, des blockchains, de l’AVAN ou BYOD, des BIG DATA prédictives, des IoT, nous pensons notre pédagogie souvent par l’objet numérique.

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Nous vivons dans un monde numérique, l’environnement est dans la machine et hors de la machine.

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La question de la place de l’homme dans cet environnement, se pose ici et maintenant. Tout d’abord parce qu’elle fait nécessité face aux injonctions claires ou induites par la diffusion des objets, programmes ou autres, mais aussi parce qu’elle détermine un avenir immédiat de société, où une non-expertise de ces domaines ne garantit pas une place sur le marché du travail.

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Cependant, la question de la fin de ce monde est inhérente à sa nature et de grands penseurs nous poussent à investir ce champ de réflexion, je pense à Alexandre Monnin ou Stephane Vial en particulier. D’ici 2040, nous ne produirons plus de phosphates. D’ici 2050 les réserves de métaux se tariront. D’ici la fin de ce siècle, notre anthropocene aura vécu un changement climatique d’une rapidité sans précédent, la Coop21 de 2015 en rappel.

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Sans entrer dans un inutile futurisme, il n’est pas possible de penser de tels enjeux en pédagogie en éducation musicale sans décrypter ou penser nos agissements dans ce monde. Je crois qu’il nous faut poser des bases de transmission d’une forme de culture en conformité avec nos habitudes encore très inconscientes, habitudes issues de ce monde numérique.
On peut penser l’ère industrielle en départ de cette nouvelle modalité de comportement, de cette nouvelle ère humaine, il m’apparait pertinent de parler de rupture de cette ère avec la fin de la seconde guerre mondiale. En voici quelques raisons majeures : une idéologie dominante de libre échange économique qui va réduire davantage que toute colonisation, le rétrécissement de l’espace et du temps; un déploiement des infra-structures dans chaque aspect de la vie quotidienne qui va peu à peu tarir et remplacer, sans aller aussi loin que Bourdieu, l’hyper structure des nations; une reconstruction du monde à l’image de et par l’image de cette émergence des diversités dans une agrégation; une perte des repères locaux et une profusion de repères lointains; une exploitation des ressources premières très accélérée.

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De la même façon qu’Eva Illouz, citée par Monnin, l’observe pour les relations amoureuses, notre comportement a changé, imperceptiblement. Nous avons glissé sur une accélération qui comme chaque fois, nous échappe et nous grise. A l’image du clip de Carmen de Stromae, nous (je ne m’extrais pas) sommes dans un flow autotélique pensant le monde parfois avec quelques années de décalage, sans dire quelques siècles.

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Peu à peu, je me suis tourné vers l’importance de penser les comportements des élèves avec ce prisme du numérique en privilégiant l’activité en cours et donc, la place centrale de l’élève. Je suis issu d’un enseignement académique très traditionnel, que j’ai tenté de reproduire en me heurtant à des difficultés que j’attribuais à d’autres et à une pseudo nature humaine. C’était sans compter mon propre cheminement. Tous ces travaux ont été éprouvé en situation mais cela ne garantit pas leur efficacité, cela garantit leur vie, leur animation, leur modification, parfois leur abandon. Avant d’aller plus loin, tout ce travail est la manifestation d’une pensée collective au sein du groupe #edmus sur internet, dans nos rencontres #edmusconnect, affiliés à notre association disciplinaire l’ @APEMu, et de notre propension à nous émuler les uns les autres. Aucune idée n’aurait pu naître sans les échanges, les aides, les apports, les contestations de chacun. Je ne pense pas en fait qu’il existe d’El Dorado pédagogique hors de la propre relation qu’un enseignant participe de créer avec ses élèves. Je pense par contre que de nos comportements dans ce monde numérique et de la façon dont nous concevons celui-ci dépendent la facilité de transmission de ce qui constitue une culture, et qu’au centre de cette place qui ressemble aujourd’hui davantage à Picadilly Circus qu’à une agora antique, il y a l’humain.

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Dans cet ordre de pensée, je propose trois entrées : des outils abstraits comme des démarches d’organisations, des outils concrets comme des outils d’évaluations, des séquences tournées autour d’une problématique.

Outils abstraits, organisations :

  • Les îlots ludifiés et permutés. Si Freinet nous parle des métiers des élèves, c’est qu’il a développé tout un contexte dans sa démarche. Loin de moi l’idée de me sortir des épaules de ce géant pour le regarder en face. Par contre, son idée d’infrastructure de responsabilité permet une fluidification , une simulation, qui présente l’intérêt d’aborder des connaissances de façon tout de suite pratiques, concrètes sans renoncer à les expliciter. Si on regarde les groupes de héros de ces dernières décennies, on a non plus une extrapolation familiale de l’individu mais une auto-organisation coopérative. C’est l’idée précisément des sites de curation et des réseaux sociaux, qui aujourd’hui se déclinent en fonction de ce que l’individu fait et est témoin. Plus on en sait sur l’individu et plus on est en capacité de le choisir. Il suffit de regarder comment procèdent les anciens speed-dating ou les sites de rencontre. L’image dans son obscénité définit non plus l’être comme peut aussi le critiquer Mazarine Pingeot dans son ouvrage sur la transparence, mais l’image reflète une confusion entre une nature et un savoir-faire. L’expression de soi dans une contenance de comportements à travers des fiches m’apparait un retour de ce point vers une place centrale de l’individu. Explication des deux principes.
  • Intersubjectivité : à l’heure des algorithmes de traduction, à l’heure des liens, des hyper liens, des interactions dans les IoT, comment nous interagissons ? Depuis Socrate et ses tamis dans la conversation, comment échangeons nous les idées ? Et surtout comment cette idée se manifeste à nous ? Il apparait qu’une page renvoie toujours à une autre, que les compréhensions des choses s’arrêtent toujours à la non vérification, et que des méthodes mêmes de connexions entre les idées concourent finement à la manipulation des esprits comme peut l’expliciter Nicolas Le Lhuerne. L’intersubjectivité se veut être un algorithme relationnel qui permet de cerner dans le débat des directions d’approche d’une idée et une compréhension mieux définie de ce que chacun peut apporter à cette idée. Si je vous évoque un « gâteau » et que vous vous arrêtez sur ce mot … Il y a beaucoup de chance que chacun puisse en imaginer, en savourer, en sentir un différent, voire plusieurs. L’intersubjectivité répond à cette profusion d’analogies dans un débat centré sur la critique musicale. Explication du système.
  • Hashtags émotionnels : les réseaux sociaux ont imposé un hyper référencement. À l’instar des moteurs de recherche, on créé sa propre information ou on la référence pour soi, en la proposant aux autres connectés. Le flot d’informations à la fois dilue et garde en mémoire presque éternellement accessible une information parfois elle-même référence d’une autre référence. Vient rapidement le règne de la méta information, c’est à dire de la connotation et non du signifié, avec le risque évident du remplacement total de l’un par l’autre, et de l’oubli de la racine émotionnelle de l’idée par le récepteur : il suffit de penser à nos attentes affectives, à l’impact du phénomène de trolling, à nos addictions et à nos propres tensions de reconnaissance qui s’affolent où se perdent face à l’écran. Adoptant le postulat qu’une élaboration conceptuelle prend racine dans l’émotion et que savoir écouter crée un espace actif en nous, je propose une direction émotionnelle et affective au langage, qui a pour but de laisser la parole libre, de favoriser l’écoute et d’essayer de couper l’impact de ces pulsions. Explication.
  • La roue des émotions : un des problèmes du référencement des musiques ou d’autres formes de pensées est ce qu’induit ce propre référencement. Toute classification s’appuie sur un cadre donné qui oriente forcément le choix. C’est une technique de vente après avoir été un réflexe scientifique. Ce cadre extrinsèque à l’objet classé vient imposer un point de vue qui en détruit d’autres. Comme l’appellation de musique classique alors qu’on parle de Wagner ou Monteverdi, le référencement est souvent faux par nature. Mais la profusion d’informations et les réflexes de rapidité dus à cette profusion font qu’aujourd’hui on ne se consacre qu’à ce que l’on connaît et non à considérer l’affinage des formes, des compréhensions, des considérations, des goûts. L’algorithme prédétermine, une simple recherche sur youtube ou google en atteste, les choix majoritaires de nos habitudes qui se confondent avec celles des autres internautes, et les datas prédictives accentuent ce phénomène de dépossession de notre faculté à faire des liens. La roue des émotions part de ce principe de comportement pour revenir à un lien intérieur, elle est liée à une démarche de type questionnaire proustien et se veut une exploration de sa propre analyse sonore. Explication

Outils concrets, infrastructures :

Dans une seconde partie, ces outils pouvant se manifester concrètement et ayant besoin d’un support avant de devenir un réflexe, contrairement aux outils précédents, il conviendra d’accepter un double temps d’adaptation à la forme et au fond des créations suivantes :

  • L’alphabet d’engendrement symbolique : notre rapport à l’image est permanent, total. L’image qui déclenche, l’icône, est multiple. Elle ne renvoie à l’instar d’un monde de Lewis Carroll ou surgit d’un palais des glaces inquiétant, qu’à d’autres symboles qui se perdent dans des structures géantes qui ne nourrissent qu’elles-mêmes : qui ne surfe pas pendant des heures de pages en pages, de dialogues en dialogues, sans en avoir retiré qu’une brumeuse impression de résistance à la mémorisation ? Tout alphabet n’existe que parce qu’il est partagé, c’est donc un travail sur le long terme. Le procédé sémiotique est aujourd’hui quasi instantané : c’est à dire que pour passer de la tête de vache à la lettre A des milliers d’années ont été nécessaires. Aujourd’hui, l’interaction entre l’observation et la transformation en symbole ne prend que quelques secondes. Autant dire que le temps de réflexion est inexistant. Profitant de ce temps aboli, je propose un retour vers la pratique avec une compréhension immédiate et une pratique lente, cet alphabet engendrant par apposition ou juxtaposition des symboles métaphoriques, construits sur une figure destinée à les transposer en 3 dimensions et en gestes ou mouvements. Explication
  • Les logos et Retour à l’écrit : dans la même logique, les logos peuvent exprimer des concepts autant que des pratiques. Ils peuvent comme les logos de produits, les sketchnotes, ou des imageries mnémotechniques à l’instar de la main guidonienne ou l’homme de Vitruve, par leurs formes remémorer le fond de la transmission. À l’inverse, l’image propose une compréhension immédiate comme les structures ou les partitions géométriques, il n’y a plus de recul mais le temps long est déplacé sur l’aspect de pratique, l’intégration se faisant en activité, démarche que nous pouvons retrouver dans un enseignement solfégique par ailleurs. Explication
  • Le sphérier : penser la perfection du rendu n’existe pas en tant qu’usager mais en tant qu’ingénieur. Paradoxalement, cette perfection n’existe que ponctuellement et contextuellement, on peut donc dire qu’un travail parfait n’existe qu’à un moment. Hors le procédé symbolique est tellement chargé d’une puissance de mémorisation qu’il contredit peut-être la nature même du travail scolaire. Il se trouve aussi que les connexions entre les champs de compétences sont clairs (et ce depuis particulièrement 2008 en éducation musicale) : mieux on écoute mieux on pratique, mieux on apprend mieux on comprend ce qu’on écoute, plus on écoute plus on aime et on aime découvrir etc. La multitude des approches de compréhension de Gardner me semble pertinente mais dangereuse appliquée à une considération de l’individu ainsi que prototypique. Par contre, déplacée sur l’interface de compréhension, elle peut relever d’une pertinence dans un choix de diversité pour l’élève. Dès lors le sphérier prend une place dans l’autoévaluation de l’élève : il ne cerne non pas prioritairement la perfection du travail mais le moyen par lequel on y arrive. Tous les élèves accomplissent le travail mais l’autonomie recherchée diffère selon les choix de l’élève. Le rôle de l’enseignant étant donc de proposer le plus possible d’outils pour arriver à la compréhension en visant explicitement l’autonomie la plus totale, c’est à dire la démarche de créativité. Par exemple, pour obtenir une image d’une Porsche ou d’une Mazzerati, je peux : attendre que le prof la propose (attendre que les autres le fassent à ma place), la chercher sur internet (trouver la bonne source), la prendre en photo (me déplacer moi-même), la dessiner sur un logiciel (la concevoir), la dessiner avec un crayon (décider du support en m’appropriant une technique) ou en inventer une moi-même dans le style (devenir Designer). Je peux être performant ou en cours de performance quelques niveaux que ce soit, tout en essayant plusieurs formes d’outils pour y arriver. Ce système a été testé sur 3 ans avec des comparatifs classes avec sphérier et cours adapté, classes avec cours adapté et classes sans. Mes observations vont-pur l’instant dans le sens d’une plus grande créativité de la part des élèves. Le spherier est aussi un plan de travail en soi. Explication
    Séquences, environnements

Enfin, ces systèmes nécessitent des séquences, comme la complexité d’un environnement informatique, un espace clos de simulation ou un operating system qui garantissent exactement comme peuvent le faire des structures de cours traditionnelles, des espaces contenants pour l’élève. Ces séquences sont ludifées ou non, elles présentent aussi cette alliance entre fond et forme.

Des activités en ludification autres seront proposées aussi au Clicx, le congrès de la classe inversée, pendant Ludovia.

Lien vers le Clicx

 

  • Le resto des punchlines
  • L’audiobiographie
  • Carmen/ Almas de Barcelona
  • Poésie je slame ton nom
  • Un océan d’étoiles

Ouvertures, fenêtres

La classe inversée me paraît être pour l’instant une forme de transmission adaptée à ma démarche. Je la pense en renversement impermanent, elle peut sembler efficace sur certains points par la facilité qu’elle a de favoriser les projets et peut aussi s’allier avec une forme plus explicite d’enseignement. En éducation musicale, nous alternons souvent pratique collective et individuelle, l’une se nourrissant de l’autre. Le procédé d’ilots renvoyant à la différenciation qu’on peut attendre d’un groupe de rock ou d’un quatuor à cordes, le chant choral, la relaxation ou les ensembles instrumentaux renvoyant eux vers le jeu ensemble.
Il me semble cohérent d’envisager notre programme disciplinaire en relation avec les comportements actuels issus du monde numérique. Espérant réduire l’usage du numérique à sa stricte utilité, j’envisage ces infrastructures non en environnement mais en objets complexes, afin de replacer l’humain au cœur de l’activité. À l’image de certaines villes africaines qui ont créé un internet sans web ( par les réseaux téléphoniques, la rencontre humaine et une source d’information numérisée ), à l’image du travail de Carole Lipsyc sur le récit des trois espaces, il s’agira dans un futur proche de sortir, dans une forclosion annoncée, du monde numérique tout en ayant acquis une réflexion sur notre façon de nous y animer.

On peut envisager peut-être, en évitant un futur à la George Miller ou à la K. Dick, un rôle du vivant plus affiné, une écologie bionumérique, une ingénierie de l’usage ou imaginer poursuivre le rêve de l’énergie verte en espérant sa renouvelabilité totale et perpétuer avec les évolutions technologiques, le rêve et la prudence de Jules Verne.

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