Formation de l’acteur et neurosciences de la créativité
Gabriele Sofia
Quelles est la place du système moteur dans la créativité ?
Si elle est encore peu pensée, il y a un intérêt croissant émergent (Gallagher 2005a ; Gallagher & Zahavi 2008 ; Legrand 2012 ; Varela, Thompson & Rosch 1991 ).
« L’esprit n’est pas autre chose que le corps en mouvement » (Varela 2002 p174)
C’est le « body-mind problem »
l’esprit ne coïncide pas seulement avec le corps, mais avec le corps en mouvement dans un environnement donné.
Varela (88) s’oppose au courant phénoménologique (étude des phénomènes) de Merleau-Ponty (45) en créant un modèle énactif ( ou énaction ), qui refuse le modèle linéaire de la réception des signaux et lui préfère un modèle circulaire.
L’idée d’embodied mind du modelée énactif suppose que l’être humain crée des projections sur le monde avec lequel il interagit créant ses propres paradigmes perceptifs.
Peut-être est il pertinent de penser aussi le temps avec l’espace ?
L’esprit humain fait donc système avec le milieu au travers de ses actions.
Ce qui peut conduire à l’observation accrue des autres et donc de soi, à la conscience d’une place attribuée et donc transformable ou manipulable. Cela peut donner lieu à des outils personnels de mesure du temps, une interface temporelle proposable à l’élève qui puisse lui faire ressentir son propre temps et celui des autres , à la manière d’un motet de Guillaume de Machaut, un multi chronomètre personnel ou simplement un cadran temporel intime à la manière d’une grille de jazz ? D’une règle ? D’un calendrier personnel ? D’une frise chronologique intime et relative ? De penser le temps en relativité ( une heure re/deviendrait un « moment » à considérer cf. Les Très Riches Heures du Duc de Berry ) personnelle ? Ce serait, en plus des outils corporels de conscience de soi ( sophrologie, relaxation, écoute musicale etc ), une manière d’accentuer une conscience du présent – et ainsi d’atténuer et de réguler l’impact des projections des émotions qui concernent l’anticipation : colère, peur, amour, excitation, dégout – )
Gallese 2014, p50 51 : il est important de considérer l’aspect neuro-biologique de la création
notion émergente d’embodied creativity, en particulier dans les arts du spectacle vivant.
Mais la porte est ouverte sur tous les autres champs…
2 l’acteur et le schéma corporel
chaque action de l’acteur obéit à une double nécessité :
transmettre une information
capter l’attention du spectateur
l’acteur provoque l’émergence d’un contrôle préréflexif sur l’action grâce à la création d’un schéma corporel performatif (Sofia 2013a, 2013b) : l’acteur doit posséder une connaissance de l’organicité de l’être humain. Chaque action implique le corps tout entier, il n’y a pas d’action « isolée », mais une synergie, des réajustements d’équilibre, un contrepoids périphérique. C’est le « schéma corporel »
Si j’anticipe un processus, j’anticipe cette synergie. Exemple : si je veux prendre un verre d’eau, je n’engage pas le corps comme si je veux boire un verre d’eau. Je fluidifie et optimise mes gestes en fonction de mon intention.
Ce qui est vertigineux pour plusieurs raisons : le langage d’abord participe de cette synergie d’action. Dans ma région, on emploie des expressions dédiées à cette complexité : « je fais les courses » « je fais de l’essence » « je prends un café ». Ces expressions laissent le champ libre à l’improvisation et à l’adaptation tout en opérant des connotations fortes qui induisent aussi un processus plus large et culturel.
( « je prends un café » = je vais prendre une boisson/ cette boisson est socialement acceptée/ cette boisson correspond à une boisson pas chère/ cette boisson rappelle un lieu/ ce lieu est à la fois celui de mon quotidien dans le travail et celui d’un endroit convivial lui aussi connoté culturellement/ je vais y rencontrer d’autres personnes/ les personnes que je peux y rencontrer appartiennent à mon cercle immédiat relationnel/ je suis rassuré alors de pouvoir rencontrer d’autres personnes n’appartenant pas à mon cercle immédiat mais partageant aussi cette volonté de rencontre/ je m’attends à une relation chaleureuse ou intéressante/ je peux prendre autre chose qu’un café mais je n’atteins pas mon image sociale/ je me convaincs que je fais partie d’un cercle social accepté par un ensemble plus large/ je sais que je vais m’asseoir/ je vais anticiper la durée de prise de café/ je vais placer des espoirs dans ce moment / je vais anticiper les mouvements d’aller et de retour vers cet endroit/ je vais anticiper ma possibilité économique de participer à ce moment et à tout ce qu’il induit/ je vais anticiper mon image corporelle, vestimentaire, sonore, langagière et l’orienter vers ce que je pense être bon ou nourrissant suivant mes attentes personnelles/ je stimule mes besoins, mes émotions/ je me prépare à réguler ces émotions/ etc. et tout cela dans un seul et même élan complexe.)
Le vertige se poursuit au niveau de la considération de l’identité qui se retrouve ainsi diluée dans un processus corporel complexe. Qui suis-je si je suis un corps en mouvement ? Dans quoi exactement suis-je inscrit ? Il m’est nécessaire de me penser dans un ensemble interagissant et mobile, avec donc la nécessité de me créer un point d’ancrage intemporel pour pouvoir l’appréhender. Comment renouer avec cet ancrage intemporel ? Quel être n’est désormais plus aucunement existant en soi ? A quelle qualité, compétence ou connaissance puis-je faire appel pour conceptualiser cette complexité sans nier la réalité et me laisser emporter ? Jusqu’à quel seuil dois-je « ne pas y penser » « lâcher-prise » ? Dois-je accepter de me perdre si je ne peux conceptualiser cette complexité ? Si je me perds que vais-je trouver ? Comment prétendre à changer si la somme de mes expériences subies est libérée de inhibition ? La civilisation permet-elle ce changement de posture ? Puis-je vivre en adéquation avec cette perte ? Puis-je l’imposer aux autres et à ma représentation de ce que sont les autres ? Comment gérer l’absence de l’autre si je me perds moi-même ? Et si je ne peux pas, comment vivre avec la souffrance de n’être plus perceptible en tant que soi ? Je me retrouve nécessairement dans l’obéissance/désobéissance. Dans ces deux cas, je ne suis plus en contact avec l’image d’un moi figé. Je cesse de penser et je ne suis qu’un corps. Mais le corps n’est pas détaché de l’esprit. Quelles marque vais-je m’infliger que je ne considère pas et qui pourtant vont impliquer tout un mécanisme futur d’existence ? D’un autre côté, suis-je conscient de mes besoins les plus primaires et est-ce que je me donne tous les moyens de les équilibrer en fonction de ma place personnelle, de ma place au sein de ma culture et de ma place au sein de mes pairs ?
Il apparait que nous sommes des êtres connectés de ces vertiges, bien moins brillants que nous pensons, bien plus responsables, bien plus imparfaits et en même temps importants. Quel enseignement sinon réorienter notre niveau d’exigence en fonction de ces paramètres dans un premier temps avant de créer des outils simplificateurs de cette forme de complexité quasi totale, inscrite dans un plan général, oserais-je dire universel ?
Berthoz (2003) : il existe en nous un double agissant pour nous de façon inconsciente.
Si on intensifie la pensée complexe incluant l’homme dans l’univers, ce double est « relativement et empiriquement » immanent, éternel et omniscient. Peut-on l’appréhender par la raison ? Une pensée intemporelle des choses nées et en devenir mêlée à l’action serait-elle une porte rationnelle vers ce double agissant ?
Il vient de s’ouvrir en musique ici me semble-t-il, un nouveau champ vertigineux dans la conscience musicale. Les mindmap histoires sur ce site peuvent en être des commencements d’investigations. Je pense aussi à la « psychohistoire » d’Asimov dans Fondation.
D’après Legrand (2010 p66), sur la créativité nous pouvons dire que le corps n’est pas l’outil mais l’organe.
3 Schéma corporel performatif et corps créatif
il y a une connexion entre schéma corporel et processus intentionnel. Mais est ce que ce schéma corporel est conscient ? S’il est inconscient il n’est pas forcément automatique. Ils sont préréflexifs, ce qui leur permet de s’adapter à tout changement imprévu.
Plus nous activons un pattern d’action, moins nous aurons besoin d’efforts pour le faire ressurgir. Nous pourrions ainsi nous consacrer davantage au but. Barba (97) pense que la répétition d’exercices, petits labyrinthes nécessaires à la création d’une pensée paradoxale permette d’agir sur l’extraquotidien (c’est l’ « âge des exercices » p15) , et ceci apparait au début du XX°.
Le schéma corporel devient « performatif », c’est le « corps décidé ». L’acteur lutte pour « refaire son corps » (Artaud 1947 p104)
4 Vers une EMBODIED CREATIVITY ?
C’est une approche de la créativité humaine qui comprend deux facteurs :
1 les activités du système moteur
2 la continuité qui existe entre le niveau physiologique et celui psychologique
Les neurones miroirs montrent comment la perception d’une action est liée à la résonance motrice que l’action perçue provoque dans le sujet (Rizzolatti & Sinigaglia 2007 )
La perception des objet dépend strictement des actions potentielles que le sujet peut mettre en place (Cosantini, Ambrosini, Tieri, Sinigaglia & Committeri 2010).
et des potentialités d’action des personnes présentes dans ce dernier.
Ce qui participe d’une réalité intersubjective.
Il y a une connexion chez l’enfant entre ses habiletés cognitives et son développement moteur (Bushnell & Boudreau 1993 ; Thelen 1995 ). Son développement moteur n’est pas seulement le cerveau mais ses muscles , ses os, les mécanismes proprioceptifs ( Gallagher 2005)
La proprioceptivité est particulièrement intéressante dans l’approche de l’illumination, pensée divergente inconsciente , lors du développement du processus de la créativité selon Wallas. Si elle se développe avec la perception du monde qui l’entoure, une stimulation consciente d’un environnement total peut faire émerger chez le sujet une plus grande faculté inconsciente à sélectionner une idée parmi les systèmes complexes d’agencement des concepts. Plus simplement, offrir des voyages sensoriels avec des réorganisations différentes de l’espace engage la créativité. L’école peut-elle prétendre à augmenter ce rapport à l’espace et aux sens ?
Il faut tenir compte de la continuité entre niveau physiologique et niveau psychologique, cela requiert une modélisation du corps et de la cognition humaine selon des niveaux d’organisation (Ruggieri 1997), jamais localisable à une zone circonscrite.
L’importance de la musique n’en devient que plus grande puisqu’elle active presque toutes les zones cérébrales simultanément.
Il est impossible de différencier les neurones de la créativité des neurones de l’amour par exemple (encore moins ceux de l’expérience artistique) car ces phénomènes réulstent de la coopération complexe entre corps et environnement.
Et ce sont des appréhensions conceptuelles tout à fait relatives à une culture , espace et un temps donnés.
Ce chapitre clos pour l’instant les investigations sur la créativité. D’autres articles sur l’autonomie vont surgir de la même manière. Le but étant une fois ces deux champs explicités d’en retirer des activités pédagogiques adaptées.