Joan Koenig a un parcours musical, pédagogique et humain de façon générale très riche. On trouvera ici un article de France Musique la présentant ainsi que son approche pédagogique, centrée sur l’oralité. https://www.radiofrance.fr/francemusique/podcasts/la-quatre-saisons-n-est-pas-qu-une-pizza/joan-koenig-musicienne-et-pedagogue-3616808
Voici une fiche de lecture commentée autour de « Tous les enfants naissent musiciens » – Actes Sud. 2022
Passée une introduction mettant en place les hypothèses des vertus du chant, de la musique en tant qu’unificatrice d’un groupe, de la créativité dans l’improvisation, l’auteure présente son bagage en neurosciences. Chaque chapitre de son livre sera divisé en années de l’enfant.
Année 1
- Concerne les bébés de 3 à 12 mois, qui évoluent dans la « salle de musique », sur une moquette bleue, et qui comprend un piano nu, une conga posée à l’horizontale sur le sol, une petite harpe et plusieurs xylophones. Après quelques séances, une attente du démarrage se forme chez les enfants. La musicienne en charge présente un décompte 5-4-3-2-1, la musique démarre et les bébés se balancent et vocalisent. Après la chanson « Bonjour/Good Morning », un jeu d’appels et de réponses rythmiques. Puis chaque enfant est appelé par son prénom musical. Une courte mélodie, le début d’un thème, une cellule dans le style que l’on souhaite avec le prénom du bébé. Le but étant qu’il le reconnaisse, se l’approprie, le rassure et puisse être une base d’une future polyphonie, d’un jeu musical avec lui.
- L’auteure décrit ensuite la place de « l’accident » comme constitutif d’une nouvelle expression. Un nouveau son produit par hasard qui va être répété et intégré. Le bébé frappe un tambourin puis ce geste est utilisé par la musicienne pour communiquer avec lui musicalement avec un autre tambourin.
- Rappel de l’apparition de l’ouïe à 3 mois in utero et de l’importance de l’association voix de la mère / réassurance / musique. Rappel de la primauté de l’intention sur la forme : quel que soit le style qu’on aime, l’amour du style se transmettra alors que le style pas forcément. Transmettre du plaisir et de la connaissance, et non l’un ou l’autre ou une quelconque causalité entre les deux.
- Elle associe le toucher à la voix : prendre son bébé contre soi allongé sur ses cuisses, tête face à soi, attraper pieds et mains, varier la voix et les expressions du visage, garder un contact visuel. La répétition est nécessaire et rassure.
- Imiter l’enfant en rajoutant peu à peu un élément du visage en mouvement. Si le bébé sourit ou gazouille, continuer.
- Rappel des travaux de Bruner, Miller et Chomsky, le LAD et LASS. Protolangage initié par le bébé du à des répétitions ritualisées et une analyse par lui des interactions.
- Rappel du « parentais », langage destiné à l’interaction parent/enfant. Falk : nécessaire à la survie des deux locuteurs. Propre au genre Homo, dont la progéniture ne peut s’agripper aux parents et qui n’a pas terminé son développement neurologique.
- Bruner , Trevarthen et Tronick : expérience du visage impassible. Sans reconnaissance et réponses de l’adulte, l’enfant s’agite pour attirer son attention puis finit par s’épuiser et sombre dans des émotions négatives, défaitistes, puis le mutisme.
- Malloch et Trevarthen : la musicalité communicative. Introduction (thème principal), développement, climax, relâchement (la voix baisse en hauteur) et coda (point d’orgue conclusif , nouveau thème conclusif). L’enfant initie tout cela en « musiquant » avec l’adulte.
- Anxiété de l’enfant que rien ne sembla apaiser : on tient l’enfant de la même façon que précédemment, on le berce, maintient du regard, imitation de ses sons. L’enfant comprend qu’il est entendu. Chanter doucement et progressivement des intervalles musicaux descendants, qui rappelle la conclusion d’un argument.
- La classe démarre toujours par une courte chanson rituelle, un doo doo wap ici. (Court court long) Observation de l’encorporation : le bébé attendait le chant par un balancement et une phrase sur « aaa » court court long. Il n’arrivait pas à le faire sans contrôle de l’équilibre parce qu’il ne pouvait pas encore le faire mais il en avait la volonté. Cet enfant a voulu reproduire plusieurs séances ce déclenchement lui apportant une joie certaine d’efficacité de mise en relation au monde et aux autres.
Rien que cette année 1 met en évidence des principes fondamentaux de première importance, tant dans la construction psychique que dans la musicalité.
Contact, imitation, réassurance. Si j’ai à retenir une notion, c’est dialogue. Les élèves plus âgés, adolescents, sont très loin d’avoir tous eu une assurance affective qui permette une musicalité efficiente. Afin d’améliorer l’exigence musicale dans la finesse des paramètres contrôlés, la question qui se pose est : peut-on encore remédier à ces carences de manière efficace ?
Si l’on retrouve dans l’apprentissage responsorial et les techniques de soundpainting, de circle songs : l’attention, le regard, l’intention, l’affection, la complicité, la relation au corps, le geste, la continuité temporelle, la relation de hauteur (et toutes les composantes du son) l’imitation, il y a là une dimension psychologique nettement mise en avant de réassurance, de compréhension du reconnaissance positive de l’autre. L’importance du rituel musical apparait fondamentale. Nous pouvons le retrouver dans l’échauffement mais ici il apparait dans la musique même.
Un rituel d’une phrase musicale qui évolue serait intéressant à penser, non seulement comme un apprentissage traditionnel d’un chant pouvait se faire d’une séance à l’autre en en augmentant la densité, mais plutôt comme un temps très court d’une cellule qui grandit chaque fois.
Consigner la phrase en l’enregistrant, la mettre à disposition en audio sur un site internet consultable peut s’avérer sécurisant pour l’enseignant également. Un jeu sur l’aléatoire peut en émerger. Il serait alors intéressant d’utiliser des générateurs de probabilités pour continuer cette phrase. ChatGPT peut servir de générateur rapidement par exemple (nous sommes en janvier 2023), et on peut le conjuguer aux techniques de composition aléatoires déjà inventées (Cage, Brown etc.).
Un rapport à l’image à l’adolescence peut aussi émerger par une imitation d’expressions possibles (sur des morphing de type Photospeak ou Morpho) mais aussi en générant par Dall.E des expressions impossibles. L’approche du thème du monstre au cycle 4 (ou fin cycle 3) peut aussi pleinement entrer dans cette approche. On peut tenter de faire l’inverse d’une mimique une fois que l’imitation est enclenchée par exemple. Le concours de grimace peut faire émerger chez les adolescents des utilisations inédites pour eux des paramètres sonores.
A l’inverse, un maintient du contact visuel et du balancement lors des évènements inattendus de cours peut être enclenché. Aux cycles 2 et 3, une approche par groupes se touchant les épaules est efficace, dans l’apprentissage des danses par exemple. Un instrument de type capteur/Frog touch/makey favorise et permet évidemment ce rapport en cycle 4 sur des compositions découpées en sample. Une approche stratégique par ilots ludifiés ou étranges renforcera le dispositif.
L’anticipation est alors à observer chez l’élève. Elle peut s’incarner par la création d’un GIF en tant que geste produit par l’élève. Un GIF rythmique, un GIF pouvant par analogie évoquer une des composantes du son recherché. Le GIF d’une bouche variant les émotions peut aussi permettre la mise en évidence de sons dans l’esprit sans les émettre d’un prime abord mais en les enregistrant ensuite dans un travail créatif. « Composez le son de cette bouche » peut devenir une consigne simple insérée dans un travail plus large par exemple (De manière analogue : « que fait le son de cette jambe, de cette forêt, de ce banc de poissons, de cette nuée d’oiseaux » etc.) Le passage au bruitage d’une séquence filmique pourra aussi s’enclencher d’autant logiquement.
Une activité que j’ai testée cette année avec succès était une chorale à déclenchement sonore bruitiste improvisé : tous en cercle, les élèves (3°) devaient déclencher un son puis l’imiter sans aucune consigne verbale, avec l’instrument qu’ils souhaitaient (pour la plupart des petites percussions ou des objets de la trousse), dans l’intuition du mouvement de chacun avec la volonté de communiquer par le son. C’était à la suite d’un excellent moment de stage chorales avec Valérie Clère en tant que formatrice autour de la musicothérapie. Il s’en suit exactement la structure évoquée dans le dialogue avec l’enfant. J’étais présent dans le cercle les premières fois, puis j’en suis sorti, et un enfant à trouble autistique en est devenu le leader. C’était un beau moment.
Le rappel des notions de préparations (le décompte), le corps, le regard, l’attention, le rituel, l’association de la hauteur descendante avec le conclusif sont déjà des notions habituelles mais tout à fait nécessaires au rappel afin qu’en conscience on puisse au mieux interagir à des évènements parfois difficiles en cours. Le prénom musical peut, comme nous le faisons tous, servir à comprendre le codage à la Josquin ou à la Bach (Si La Do Sib), mais plus que ça, à prévenir les difficultés. Il serait fortement nécessaire de penser à la liaison école-collège dans ce cas là, ce petit détail pouvant s’avérer salvateur (ou encore dans des déménagements ou des time capsule).
De toutes ces belles expériences, une ombre plane, celle du mutisme qui suit l’appel à la reconnaissance chez l’enfant, tragédie dont l’évidence cachée d’un autrefois fantasmé nous apparait en cours de façon fulgurante régulière et puissante. Un projet d’établissement conjugué entre éducation musicale et E.P.S. aurait sa place avec une détection des mouvements du corps comme dans le procédé MotionKit dont m’a parlé avant-hier le génial Valentin Leroux https://alamuse.com/transmission/motionkit-recherche-appliquee/ Ce type de programme est utilisé en rééducation depuis une vingtaine d’année mais devient maintenant facile à appliquer immédiatement.
(Chapitres suivants à suivre)