« Leurs écrits sont des vols qu’ils nous ont fait d’avance » Alexis Piron ( in Métromanie).
Pierre Bayard emprunte à Lautréamont, Oulipo à François le Lionnais ou serait-ce l’inverse, au dernier moment, comme le cite Lodge dans Un tout petit monde ?
Du ruban de Moëbius à Clouds Atlas des sœurs Wachowski, de l’enquête de Voltaire ou/et/donc de Doyle, cela nous amène à questionner le temps, lisse ou inconscient, éternellement juste à peine passé, et la façon dont nous pouvons considérer, appréhender, anticiper ce cadeau d’un fleuve que nous regardons courbés comme un épi de blé en plein air.
En musique, comment écouter le quatuor des dissonances 19 de Mozart aujourd’hui ? Comment apprécier ou non d’ailleurs, Gould jouant Bach ? Comment la Divine Comédie s’inspire-t-elle des Winterreise ? Qu’ont volé à l’Erlkönig les ballades des meistersinger ?
S’il y a ce génie du voyage chez les compositeurs, il y a aussi la compréhension d’aujourd’hui sur les connotations qu’impliquent les déroulements linéaires de l’histoire.
N’en déplaise à Onfray, partir de l’écoute d’un élève, c’est rencontrer les géants. Les correspondances nous abreuvent et les potentiels se tissent à chaque seconde. Qu’avons-nous à y gagner au lieu d’essayer d’agrandir un petit rétroviseur sans tourner la tête par le biais de confortables chronologies ? Je pense qu’il y a un sel ici qui nous permet d’entrer justement dans la peau de nos aînés, comme un émetteur d’une sonde martienne diffusant des créations passées non entendues car séparées de nous par une distance vertigineuse. Loin de moi l’idée de renier l’histoire, au contraire d’ailleurs, ni la culture, mais comme l’explique Rüdiger, notre façon de penser la forme dépend complètement d’évènements inscrits dans une psycho-histoire dont nous vivons sur les fondations.
Plusieurs pistes s’ouvrent alors :
- Composer dans/la finitude, telle que l’impliquent les affres et les technologies de la seconde guerre mondiale.
- Composer dans/la rupture comme l’implique la Renaissance et la fin de la considération de l’artiste comme scientifique, mais surtout la dualité du XVIII° entre Sturm And Drang et Aufklärung.
- Composer dans/l’imitation comme l’impliquent trivium et quadrivium avec la conscience de la structure, fondement de l’idée.
- Composer dans/le style, comme l’imposent autant le génie beethovenien que la marchandisation de l’art.iste.
- Composer par/dans/la nature comme le romantisme en est représentatif dans sa pensée naturaliste.
Nous pourrions et devrions continuer la liste mais le propos ici est comment faire comprendre aux élèves que ce qui est à créer n’est pas encore existant ? Que la lecture de l’art dépend aussi du prisme de notre culture ?
Il faut donc envisager des pistes ou des outils qui sont soit des spéculations sur l’avenir par la compréhension la plus élargie possible du passé, soit adopter des prismes tout à fait actuels de lecture afin de compter sur l’agglomération de l’individu à sa culture à l’objectif de la création, soit prendre une direction différente des prismes imposés par l’histoire, ce qui nécessite aussi au moins un individu prétendant à être détenteur d’une culture (l’enseignant ici), soit rappeler un détail du temps dans une posture néo(-classique/romantique/etc.) non pas dans le but de créer l’œuvre en soi mais de modifier la perception d’une oeuvre du passé et ainsi de revenir à sa temporalité augmenté d’une nouvelle considération (à l’image de la klangfarbenmelodie de Webern du ricercar de Bach qui nous fait réécouter le clavecin totalement différemment, ce qui nous permet.trait d’entrer dans un clavecin préparé ou des fusées de la toccata en ré, et d’entrer dans les recherches du père Castel. À ce titre, je crois qu’il est tout à fait pertinent de penser l’enseignement de la musique de façon plastique et inversement.
Je propose une séquence dont la problématique humoristique pourrait être :
En quelle mesure l’avenir influence-t-il le passé ?
Un plan de travail possible serait
- un débat coopératif avec sphérier (traduire : avec outils gradués selon la dépendance au savoir de l’élève avec visée d’autonomie, les outils ici seraient axés sur les synthèses des styles musicaux des périodes usuelles) autour de la question « qu’imaginiez-vous comme musiques du futur » ? Le mot futur serait ici connoté par la valeur « différentes de ce que vous connaissez/ssiez ».
- Construire un mixage de samples unifiés par une thématique autour du timbre ( L’homme armé en différentes versions : Dufay, Jenkins, des Prez, Carissimi). L’avantage de notre époque où l’enregistrement est relativement récent permet d’accéder à des connotations immédiates d’une écoute contemporaine d’œuvres passées. Il faudra veiller à ne pas utiliser des enregistrements trop éloignés en date de 2019 cependant.
- Créer un morceau instrumental/vocal avec pour outils : un enregistreur qui ne marche qu’avec un volume précis inconnu de l’élève ou/et déterminé par lui (à fabriquer avec des applications comme « Everything machine » ou encore Max msp) dans le but de nier la temporalité de la création : le début, la fin, l’œuvre se situe en dehors de l’enregistrement. Une musique mixte dont la partie électronique se déclenche de façon aléatoire et dont les dimensions acoustiques sont permanentes (jardin sonore) prévues (filmer une partition sans la jouer) et techniques (une partie répétée et prévue dans un temps mesuré). Une musique entendue que d’un seul endroit (anamorphose musicale) avec plusieurs diffuseurs/musiciens.
- Isoler un extrait d’une oeuvre relativement connue du répertoire savant que l’on aura écouté en cours avec un questionnement CQQCOQP, le reproduire avec d’autres moyens techniques (le clavier sampleur peut mêler la voix à l’instrument de façon rapide et efficace par exemple). Puis réécouter le morceau original et en percevoir toutes les influences de sa propre création sur l’écoute, requestionner l’œuvre originale sur la dimension qu’elle porte d’être propice à la transformation, chercher un moyen compositionnel de faire émerger en évidence les éléments saillants de l’œuvre avec les contraintes organologiques et structurelles de l’époque (reproductibles avec des synthétiseurs ou des applications de contrôle vocal de synthétiseur, ainsi que par des formes imposées) et proposer une invention d’instrument adapté à cette nouvelle composition. Ce travail en tamis peut être long, veiller à ce que l’œuvre crée soit courte par un temps relativement court de travail imposé strictement avec chronomètre.
Il m’apparait qu’une exploration formelle de la dernière activité peut, par la liaison entre la forme et le fond, faire comprendre sans explications lourdes le travail aux élèves. Je pense à deux façons : la première, un travail sur du clonage image dont l’avantage est qu’elle pourrait facilement être réutilisée en vie scolaire – vie de classe – citoyenneté.
Avec une app de clonage, se prendre en photo dans un endroit de la salle de musique. Se cloner de façon à ce que tous les clones indiquent des choses dangereuses ou bénéfiques de cette salle, comme s’ils étaient des versions de soi venues du futur pour aider le « soi » du passé. Les déguiser en fonction de métiers que l’élève voudrait faire pour la version vie de classe.
Ca serait un peu long mais la compréhension serait je pense conséquente de l’activité recherchée.
Deuxième entrée, se servir de l’alphabet d’engendrement décrit sur ce site, mais avec des symboles relatifs aux changements musicaux et techniques.
Dans un premier temps, avant de s’en servir, il me sera plus facile d’entrer par les emoji, beaucoup plus traditionnelles et déjà codifiées puisque comprises par la majorité.
🌈 = orchestre 🥇= soliste 🎼 = mélodie 🥁= rythme 🚀 = très rapide 🏎= rapide 🚓 = un peu rapide 🚗 = un peu lent 🚲 = lent 🛴 = très lent
🧗🏼♀️= chromatisme ascendant 🏄🏿♀️= chromatisme descendant
🤼♀️= fugue (ou fugué) 🎰 = aléatoire 🎲 = improvisation 🎤 = voix 🎹🎸🎻 = instruments précis (clavier, électriques, cordes frottées, bois, cuivres, percussions etc)
🥎⚾️🥎 = forme lied 🥎 🥎⚾️🥎 = AABA (etc)
💻= musique électronique 🏺= technologie antique 💡= technologie électrique ⚔️= médiéval 🔭= renaissance 🕯= pas d’électricité 👑 = avant Aufklarung 📝 = partition 🐚= baroque 🦢 = romantique 📚 = classique
(on peut combiner : 🎼🧗🏼♀️ = mélodie ascendante )
ce sont des exemples, plus tous ceux que les élèves vont inventer.
Merci à mon formidable collègue et ami Boris Boyon pour son inspiration.
Je termine tous les outils et puis je teste.
Encore une idée lumineuse et un article éclairant ! Bravo !
Merci beaucoup !!! Je suis très honoré !
heu, les emoji de la fin sont affichées en caractères…indéchiffrables !
Bonjour Edwige : merci ! Sur quel navigateur stp ?