Une approche de la créativité musicale en psychologie (suite)

Mesures

La construction d’un outil d’observation de la créativité est nécessaire. Cette dernière est mesurée en lien avec d’autres traits de personnalité (créativité générale, intelligence, aptitudes musicales etc.). Ces tests, inspirés par les travaux de Gildford et Torrance, ont été réalisé aux États-Unis (Vaughan, 1972, Webster, 1979, Gorder, 1980).

Ils consistent en l’improvisation vocale ou instrumentale sur différentes modalités et à partir d’une proposition musicale. Les tests sont faits soit dans une école élémentaire (1972) avec un tom, des claves, deux xylophones (Vaughan 1972), soit dans une High School avec des instruments de musique (Gorder 1980). Webster (1983) demande à des élèves du niveau élémentaire d’imiter des évènements naturels avec des instruments à percussion ou en improvisant à la voix.

Webster (1979) implique des travaux de composition et d’analyse, Wang (1988) d’expression corporelle.

La notation musicale traditionnelle semble être utilisée pour la transcription de ces productions.

Composantes

le nombre de composantes est variable selon les recherches engagées. Voici quelques items :

  • la fluidité musicale. On mesure le temps des improvisations (Webster, 1983) ou le nombre d’évènements produits (Vaughan, Gorder) avant d’en comparer les réponses. On observe des variations en fonction de l’âge mais la corrélation avec les autres composantes n’est pas encore spécifiquement étudié.
  • la flexibilité musicale s’attache à l’observation de la variété des productions, ou le nombre de catégories classables des réponses. Vaughan (1972) propose la notion « d’idéation », c’est à dire le degré de pertinence par rapport à la situation d’origine. Gorder (1980) se concentre sur le nombre de phrase aux contenus différents. Webster (1983) applique trois paramètres mesurables : aigu/grave , doux/fort, rapide/lent. Les modalités de segmentation n’étant pas énoncées, il est difficile de savoir s’il s’agit de flexibilité rythmique, mélodique, intensive, rythmo-mélodique, etc.
  • l’originalité musicale (Gorder, Webster) est évaluée selon la rareté du contenu des réponses par rapport à celles d’un panel.
  • L’élaboration musicale (Gorder, Webster, 1977) est mesurée par un degré de complexité des phrases musicales
  • d’autres facteurs sont répartis, ainsi la « sûreté rythmique » (Vaughan) pour suivre une pulsation régulière ou improviser une séquence rythmique, la « syntaxe musicale » (Webster 1983) qui est l’utilisation des évènements musicaux et l’appréhension de la réponse relativement aux évènements particuliers, ou « l’imagination musicale » (Wang) à partir de la correspondance des réponses musicales et dansées avec le thème proposé.

Baltzer (1988) considère, par étude de relations inter-items, que fluidité et imagination musicales se distinguent clairement dans le processus créatif mais aucune étude n’a encore démontré leur hiérarchisation.

nb. il serait intéressant de proposer, pour la fluidité, des relations au temps plus ou moins variées, alterner des phases chronométrées courtes avec des temps longs, des temps lisses ou d’autres mesures du temps possibles. Sortir du cadre de cours hebdomadaire parfois m’apparait significatif. De même, les relations temporelles aux musiques peuvent être variées, des écoutes libres et longues, des sample, des écoutes focalisées sur des phrases comme sur des mouvements. Evidemment la relation à la temporalité se retrouvera dans le matériau temporel lui même avec des temps lisses, des ragas, des musiques minimalistes, des séries, des cellules etc. L’alternance de temporalité peut être active et proposée en plan de travail où l’élève pourrait choisir son temps de travail, bénéficier d’une banque de temps. On peut imaginer un système de capitalisation du temps mais aussi l’inverse, un système où l’ennui est à fuir par la création de son système temporel de rallonge du temps (comme quand on propose à un enfant de ranger sa chambre quand il s’ennuie, pourquoi puisse entrer dans une créativité de son activité qui l’ennuyait auparavant. L’enfant « gagne du temps » en trouvant un plaisir supérieur à une activité qu’il veut de toutes façons éviter, dans une activité créative. Par procrastination apparente, il s’engagerait plus intensément dans une créativité ? Ce serait à penser en aidant totalement l’enfant à accomplir la tâche redoutée, évidemment.

Liens entre créativité musicale et facteurs psychologiques 

Le lien entre créativité générale étudiée par Guiford et Torrance, et créativité musicale est communément admis. Vaughan (1971) et Webster (1977) observent des corrélations significatives entre les résultats à leurs tests et ceux des épreuves figurales de Torrance. Il y a en plus des liens avec les performances d’analyse et des épreuves verbales.

Par contre les aptitudes musicales semblent indépendantes, selon le test de Bentley (Vaughan 1971) et Gordon (Webster, 1977) mais pas selon le test de Colwell (1968) selon Webster (1977).

Selon Vaughan (1971), Webster (1977), Swanner (1985, cf. Baltzer, 1988), il n’y a pas de lien entre les deux aspects de la personne que sont créativité musicale et intelligence.

Aucun lien entre facteur biologique et créativité musicale ne semble exister. Il est à souligner le caractère exploratoire de ces recherches.

Dynamique du développement de la créativité musicale

Imberty (1969), Fulin (1974), Labussière (1976), Moog (1976), Céleste (1982), Dowling (1986), Jézéquel (1988) et Mialaret (1990, 1992a, 1992b) ont observé les créations et improvisations musicales d’enfants et d’adolescents. Leurs conclusions sont que tout enfant est capable de faire preuve d’une productivité musicale spontanée. 

Par contre, ces analyses ne s’occupent pas du niveau de créativité tel que décris dans les composantes pré-citées. Ce sont des observations ponctuelles.

Chez les très jeunes enfants, l’observation de babillages ne permet pas d’appréhender spécifiquement la fluidité, la flexibilité ou l’originalité mais permet d’envisager les volontés  d’interactions des sujets comme existantes. Kelley et Sutton-Smith (1987) observent chez trois enfants de la naissance à deux ans, des échanges avec leur environnement en privilégiant par le sujet les relations aux musiques parentales, ce qui corrobore les observations de Moog (1976) et Dowling (1984). Le milieu stimulant favorisant la quantité en nombre et en diversité de ces phénomènes d’interactions, la notion de créativité développementale (Pommerleau et Malcuit, 1983) apparait. La dimension du potentiel créatif ne peux se détacher du contexte échopraxique ou imitatif.

D’autres études montrent, sous forme d’annotations spécifiques, des caractéristiques de créativité dans l’enfance dans le tâtonnement instrumental (Céleste), dans l’évolution de l’intensité des répétitions et des variations du contour mélodique (Dowling) ou encore dans les modalités originales d’articulations entre conduites d’assimilation et d’accommodation au cours de l’élaboration d’un schème de production musicale instrumentale (Mialaret).

En conclusion, tout enfant développe une créativité en musique, et que cela participe d’une individuation des échanges musicaux.

Des études auprès d’étudiants ont été réalisé et montrent encore une individuation des stratégies d’expression musicale. La créativité apparait comme une dynamique particulière, analysée pour l’instant à travers les productions finales.

nb. un énorme champ d’inconnu dans l’évaluation formative semble exister, ce qui confirme l’intérêt tout à fait conséquent de l’observation de l’interaction d’un élève avec l’algorithme numérique et en particulier l’I.A.. Le sphérier  et en particulier sa forme complexe en caractérisant autrement que par l’approche des intelligences multiples mais avec des finalités musicales plus acentuées, selon peut-être les composantes par exemple, présente un intérêt méthodologique évident dans ce type d’observation pour l’instant encore inexploré.

Processus de la créativité musicale 

le mode piagétien du développement de l’intelligence n’analyse pas les conditions d’émergence des différentes conduites de production de nouveauté musicale car il s’attache à décrire les processus cognitifs généraux impliqués au cours de situations telles que la rencontre musicale nouvelle et les stratégies déployées par le sujet pour s’y adapter.

Kelley et Sutton-Smith (1987) ont cependant tenté de d’observer certains aspects, de même que Webster (1987) et Pressing (1984, 1987, 1988).

Webster appréhende les caractéristiques de la pensée créative en musique et Pressing analyse les processus cognitifs impliqués dans l’improvisation musicale.

1 pensée créative en musique selon Webster

Il distingue trois étapes dans le déroulement de l’acte musical

  1.  intention de produire (dont les concrétisations peuvent se manifester sous la composition, l’improvisation, l’interprétation et l’analyse)
  2. processus psychiques engagés au cours de la réalisation de l’acte
  3. caractéristiques du produit

Quatre groupes de compétences interviendraient alors dans le développement de la pensée créative

  1. les aptitudes musicales, déterminées au début de la vie (représentation des paramètres musicaux, fluidité, flexibilité et originalité)
  2. compréhension conceptuelle du discours musical
  3. habileté à transferer ses connaissances à une tâche complexe
  4. sensibilité esthétique

Il ya ensuite les variables liées à la personnalité du sujet et celle liées au contexte.

La motivation à poursuivre un projet puis la dimension préconsciente et enfin les caractéristiques personnelles (prise de risque, spontanéité, ouverture, sens de l’humour, préférence pour la complexité) interviennent dans le processus créatif. Les conditions externes (liées à l’environnement) de réalisation jouent aussi.

Dans le processus psychique, on peut associer les variables de Guilford (pense convergente et divergente) à celles de Wallas (préparation, incubation, illumination, vérification).

La représentation et l’assimilation de la syntaxe musicale découleraient de la pensée convergente alors que la fluidité, la flexibilité et l’originalité appartiendraient à la pensée divergente. La compréhension conceptuelle, la capacité à transférer et la sensibilité concerneraient les deux modes de pensée alternativement.

  • la phase préparatoire : prise de conscience de la spécificité et complexité de la tâche
  • l’incubation : mise en oeuvre des processus préconscients . Elle met en lumière la pensée divergente par l’éventail des potentialités envisagée de manière fluctuante.
  • l’illumination permet de surmonter les difficultés. Piaget (1948) en montre le caractère progressif
  • la vérification concrétise l’acte et le confronte au jugement d’autrui

Les études de cas manquent encore, en particulier dans la rencontre entre les désirs de la personne créative, ses potentialités, et la situation elle-même.

nb. le modèle de Wallas de 1926 est ici majoritairement proposé. Ne pas oublier qu’il existe d’autres modèles : Osborn (1953), Treffinger (1995), Runco & Dow (1999) et Howard et al. (2008). Ces modèles peuvent orienter les associations inter-items de façon significative. Je comprends que par rapport aux expériences menées décrites ici, le modèle de Wallas fut choisi. Mais la musique n’a pas été pensée comme une matière agrégée à d’autres connotations que solfégiques. La pédagogie de l’éducation musicale ne pouvait proposer qu’une approche imitative d’une tradition unique, dont les détenteurs (les enseignants ici en l’occurence) ne pouvaient qu’entrevoir les possibilités contemporaines qu’à travers des oeuvres elles aussi connotées assez péjorativement (par l’intellect en majorité, de façon assez courte dans le temps et optionnellement par la pratique légère, puisque les années 80 et 90 surtout ne proposaient l’enseignement en université de la musique contemporaine qu’à travers des cours d’histoire en troisième année de musicologie et une option de musique électroacoustique) par la rareté de la pratique, de l’intérêt non éduqué et du statut confidentiel des musiciens contemporains eux-mêmes, largement ignorés du grand public au profit de la chanson. La confiscation de l’esthétique par des projets d’ascension sociale a largement contribué à cet état de fait. Même si cela participe de la contextualisation nécessaire du statut de créativité, ce critère de définition implique tout une dimension culturelle écrasante. Ce n’est pas seulement Mozart qu’on assassine pour faire un trait d’humour, c’est aussi Boulez ou l’homme préhistorique. Penser la musique non comme un enseignement technique mais dans une approche socioconstructiviste permet d’augmenter considérablement le champ d’investigation de la créativité et de sortir non seulement d’une tyrannie esthétique mais aussi d’une réduction de la pensée créative.

2 improvisation musicale et processus cognitif selon Pressing

il analyse les processus sans aller dans la dimension créative spécifiquement, l’improvisation étant appréhendée en termes de liaisons et de régulations perceptive-motrices spécifiques. La compétence du sujet et le contexte de la réalisation sont ici importants, les décisions se prenant en temps réel.

Le processus séquentiel de l’improvisation comporte trois moments :

  1. codage perceptif des données sensorielles
  2. évaluation des potentialités et choix d’une réponse
  3. exécution et réglage des actions choisies

En improvisation, la capacité décisionnelle est constante et se mélange avec une automatisation de l’acte. L’éxecution est réalisée aussi en même temps que le codage des nouvelles données sensorielles. On peut distinguer une mémoire des « objets »musicaux et une mémoire des processus potentiellement actualisables.

La création d’une mélodie implique la création d’une mémoire long terme d’objets musicaux.

Puis des techniques de variations, de recombinaisons apparaissent selon les contextes. Ces deux mémoires coexistent afin d’organiser les unités d’action, qui permettent un codage croissant des informations.

Deux attentions coexistent alors, une consciente et une inconsciente.

nb. croisé avec les neurosciences, cette analyse devient tout à fait essentielle. Les unités de temps deviennent atomiques mais possiblement cernables. Quid des micro processus de transfert entre des activités que l’on pense synchrones ? La multiplicité exponentielle des processus créatifs dans l’improvisation, et donc la richesse elle aussi exponentielle au fur et à mesure que l’on en cerne les détails cognitifs, ouvre des perspectives de recherche incroyables. L’attention étant modulaire avec la conscience des phénomènes à observer, j’aime à penser en hypothèse le cycle d’apprentissage proposé par Sylvain Connac ( les quatre phases d’apprentissage et 2008, p.57 ) comme applicable et observable en temps réel, dans une improvisation.

Éducation musicale et créativité

Peut-on s’approprier des « objets » culturels ?

Selon Pond (1981) et Delalande (1984), la spontanéité des réponse de l’enfant est aliénée par l’acquisition du langage musical de l’environnement de l’enfant.

A l’inverse Simpson (1969), Wolf (cité in Richardson, 1983) observent que l’enseignement musical développe la créativité générale des individus. Vaughan et Myers (1971), Pfeil (1972) McClellan (cité in Richardson 1983), Kalmar et Balasko (1987) observent aussi des augmentation de la créativité musicale.

La création amplifie les capacités perceptives (Bradley 1974) et l’acquisition de certaines notions musicales (McClellan, 1977 ; Dodson, 1980).

différents tests sont émis avec des élèves de cours élémentaire, mais les descriptions des observations sont encore timides, au su des constitutions des groupes tests et contrôles. L’engagement à la créativité n’est pas souvent explicité, et s’il l’est (Kalmar et Balasko, 1987) , il ne se démarque pas d’une relation entre connaissance et créations (création dirigée : improvisation dans le style de) et les élèves appartiennent au cours élémentaire ou au jardin d’enfant, ils varient entre vingt et trente sujets par groupe.

La présence des chercheurs sur le terrain est elle aussi variable et ils appliquent leurs propres tests. 

Influence de l’enseignement musical sur le développement de la créativité

  • un enseignement musical intensif conduit à une hausse des performance au test de Torrance, surtout en originalité
  • si la dimension créative en cours augmente la créativité des sujets, la dimension créative de l’éducateur est tout à fait déterminante.

Les paramètres complexes d’évaluation de la créativité des sujets rencontrent celui de la formation des pédagogues et le paradoxe que Winnicott demande de ne pas résoudre : l’objet créé par le sujet « n’aurait pas été créé s’il n’avait déjà été là » (Winnicott, 1975, p.100).

nb. il est évident que de nombreuses études restent à faire, en particulier au niveau du secondaire.

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