L’évaluation, réflexions personnelles

Préambule

Quand on se heurte à la question de l’évaluation, on se heurte à plusieurs résistances.

D’abord est-on libres d’évaluer de la façon que l’on souhaite en tant que prof ? Oui, notre devoir est d’évaluer pas nécessairement de noter.

Ensuite pourquoi changer ? Là, c’est un positionnement personnel. Il y a beaucoup d’avis et de propositions alternatives très intéressants et je pars du principe qu’un professeur souhaite le meilleur apprentissage possible pour ses élèves, je pose ce point en postulat.

Si l’élève se façonne avec un devoir seulement, si c’est l’exercice seul qui façonne l’individu, alors cela signifie qu’il n’existe qu’une psychologie de l’enfant et que la psychologie est une science dure.

Il n’en est rien. Il ne reste donc qu’un barème proposé selon une norme. Suit-elle une courbe de Gauss analysée en sociologie ? Non plus, il n’y a que des avis.

Cette façon de noter suit elle une imitation de la vie active contemporaine ? Non plus, même dans notre profession les notes ne suivent pas ce raisonnement de façonnement vis à vis du travail.

Que reflète la vie professionnelle ? Une autonomie parfois, une obéissance, des nécessités, un salaire, des contraintes, du plaisir, des créations, des groupes ou des individus, la liste est longue. Là aussi, il y a des choix de points de vue et peu de réalité. Donc nous sommes sur une voie de réflexion totalement arbitraire.

Y a t il des études sur l’évaluation ? Oui énormément même. Et leurs conclusions diffèrent toutes, dans la mesure où, et c’est normal, ces études sont effectuées chaque fois en contexte différent.

Puisque nous sommes définitivement sortis de l’aspect universel du débat qui semble vain, il s’agit alors de se positionner en tant qu’individu.

Pour ma part, ce qui rejoint ma sensibilité est la considération animale de l’humain en tant qu’espèce mammifère élevée par la protection d’un adulte bienveillant, se nourrissant de son expérience et la transformant en acquis culturel, avec un aspect inconscient d’intégration que l’on appelle nature ou instinct, afin de faire face à la compensation de plusieurs handicaps biologiques et donc afin d’étendre par la création concrète ou virtuelle d’outils l’éventail des champs d’action sur le monde.

La transmission simple et son évaluation stricte m’apparaissent donc faussées, adaptables à un objet mais pas à un être vivant.

La répétition nécessaire utilisée simplement comme activation de base m’apparaît inutile si elle est dénuée de conscience globale et contextuelle.

L’addition d’évaluations d’exercices différents en contextes différents me paraît fausse mais pas la réduction symbolique en tant que point d’ancrage mémoriel. Le concept de moyenne de notes me paraît donc infondé mais son impact symbolique est puissant.

L’affectivité dans l’éducation me paraît naturelle et même nécessaire dans le transfert cognitif.

Le transfert cognitif m’amène à penser la nécessité de la simulation pédagogique et donc de la ludification.

Le manque d’ingénierie pédagogique m’apparaît enfin dangereux dans cette absence de vérité absolue.

Ces postulats prudents m’amènent pour les mêmes raisons à préciser que ce n’est pas une vérité absolue qui peut être proposée en évaluation ni même en pédagogie, mais le fait de la déconsidérer et l’ignorer est pour moi une négation de notre condition, une voie idéologique arbitraire érigée en postulat, donc, une erreur intellectuelle qui a des incidences sur d’autres êtres humains.

Pour résumer le préambule, chacun fait comme il peut et comme il le juge bon, s’il y arrive, c’est déjà très bien.

Évaluer sommativement selon un modèle :

 la note

notes

La réduction symbolique est en soi une moyenne. Sur 20, 10,5, en lettres A, B,C etc. Le barème implique une codification attendue par le professeur et sa traduction sur une échelle. Le problème principal est que le symbole est en soi un point d’ancrage mémoriel fort et qu’il se diffuse par sa simplicité dans des zones de considérations pour l’élève, tout à fait multiples, comme la caractéristique de sa personnalité, de son potentiel, alors que son but est tout autre.

Autre problème, ce système provoque une réaction de rejet et d’échec vécu comme immuable, une perte de confiance sans forcément entraîner une volonté d’amélioration. Il faut donc une dose énorme de bienveillance de la part du prof  (ce que je pense être le cas de la majorité des enseignants) et une sécurité psychique forte de l’élève, pour que chez lui il puisse entendre que ce n’est pas grave mais important d’avoir une mauvaise note et que le but est d’améliorer son travail. Ou alors il faut accepter que l’élève puisse ne jamais se remettre d’une souffrance scolaire et être prêt à être responsable du fait qu’il n’ait pas pu révéler son potentiel. Sinon, on peut aussi se sentir totalement compétent dans l’élaboration d’un devoir et se déposséder de toute cette considération si on a suivi une scolarité parfaite, mais qui doit apprendre alors toute l’autonomie nécessaire à cet effort acharné, à des individus dont le cerveau n’est pas même physiquement totalement mature ?

L’appréciation qui suit l’évaluation se révèle donc la part de conseil personnalisée importante dans le dialogue prof-élève ainsi que les annotations de copie. Ce procédé présente des avantages nets mais il est long et contraste avec le débordement du symbolisme de la note. On peut centraliser son application et ainsi passer aux compétences de façon logique.

 

Évaluer sommativement avec une prise en compte du formatif :

les compétences

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Les nouveaux programmes sont organisés sous forme de compétences, ce qui facilite l’angle des évaluations. Un devoir implique donc plusieurs compétences attendues, ce qui ajoute une personnalisation fortement sans perte de temps. Là encore, des échelles de valeurs précisent l’acquisition complète ou non de la compétence, l’avantage du système étant d’être précis et de diminuer l’impact symbolique du résumé global du devoir. Il n’efface pas quand même certains de ses inconvénients : l’élève peut réduire son devoir à un nombre de compétences acquises, que ce soient par des lettres ou des couleurs. L’élève peut centrer facilement ses efforts sur des points, mais des paramètres échappent parfois à l’évaluation demandée (puisque son but est d’être détaillé), alors que la note présente un mode de pensée global intéressant dû uniquement pour moi dans la force du symbole. Il apparaît donc et c’est logique, que pour un même devoir, des compétences acquises correspondent à une note moins forte que celle attendue. La question est donc : un devoir peut-il être noté différemment d’un correcteur à l’autre ou est-il objectivement évaluable ? Le correcteur étant un être humain, nécessairement et qu’importe le système, le résultat sera changeant. À part faire appel à une machine, il s’agit donc de prendre en compte une compétence et sa modularité. Il me semble que les ceintures de compétences répondent à cet objectif.

 

Évaluer sommativement et formativement à la fois :

 Les ceintures de compétences

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Appelées ceintures en référence à l’adaptation progressive des acquisitions des arts martiaux japonais effectuée à l’origine par Jiguro Kano pour faciliter la compréhension d’une progression pour un individu né dans une culture occidentale, les ceintures sont la manifestation de niveaux et d attentes intrinsèques à plusieurs compétences. On attend d’un élève qu’il passe une ceinture à chaque devoir, cette ceinture correspondrait à un niveau de difficulté et d’autonomie croissant selon sa couleur. Ce système est encore un système gradué mais qui permet l’effort de l’élève accessible directement. On entre dans un détail de personnalisation intéressant car chaque élève peut graduer ses propres compétences à acquérir, la visée étant une autonomie dans la démarche même de travail. C’est aussi la visée des badges de compétences

 

Évaluer formativement par balises sommatives :

les badges

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Un badge qualifie une étape d’apprentissage que l’on peut acquérir à tout moment, sans forcément qu’il y ait une gradation, le but étant d’en avoir le plus possible, ce qui signifie le plus de savoir ou savoir-faire. Les badges marquent des étapes et on peut en décerner entre pairs, ce qui favorise l’évaluation collaborative. Ce système marque une autonomie accentuée et spécialise l’élève, le rendant acteur unique de son propre apprentissage, avec la notion de parcours. La comparaison entre élèves est encore présente, mais la portée du symbole est tout à fait positive, il n’y a pas de badges « mauvais devoir » ou de badges « ceinture blanche » . Par contre il n y a plus comme dans les ceintures la considération de la difficulté et des possibilités de l’élève.

 

Faire soi-même en fonction de ses objectifs

Mon approche personnelle est issue de ces deux derniers aspects, avec une dimension totale de parcours, en centralisant sur l’autonomie par la considération de l’outil , en accentuant le tutorat par les pairs et en prenant en compte la théorie des intelligences multiples mais non centrée sur l’élève, toujours sur l’outil utilisé pour obtenir la compétence ou l’item que je demande. Ce ne sont d’ailleurs plus des items mais des démarches au sens large qui sont aux compétences ce que les projets sont à plusieurs matières. Mon système d’évaluation est sous la forme de plusieurs cercles concentriques à branches, je l’ai appelé « spherier ». Je ne prétends pas l’ériger en exemple à suivre, mais plutôt en témoignage d’une ingénierie pédagogique personnelle.

 

lien vers le sphérier

Évaluer formativement et auto évaluer : le tutorat.

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L’évaluation peut aussi se transmettre entre pairs en tutorat, on peut graduer cette transmission par nombre de tutorés par exemple au regard de la difficulté de la notion à transmettre. Là aussi le système des badges est efficace.

Le tutorat entre pairs n’est pas unique, on peut être tuteur prof-élève, prof-prof, groupe-individu, groupe-groupe, etc.

Laisser la gestion de l’évaluation entre les élèves : d’une classe à l’autre, d’un niveau à l’autre

Évaluer une progression et des responsabilités dans l’acquisition des compétences : les îlots

ilots

Qu’ils soient bonifiés (chaque îlot concoure à résoudre les exercices) , par rôles ( chaque élève a une responsabilité précise), coopératifs ( les îlots travaillent de façon autonomes, mais chacun concoure à remplir un élément du travail commun final , ou ils s’aident les uns les autres) , évaluer les îlots selon l’un des modes précédent entraîné encore des modifications de points de vue sur le travail individuel .

Évaluer par un projet (exposition, concert, forum) finalisé entre aussi dans cet esprit.

Scénariser des pratiques déductives comme les tâches complexes peut amener à ludifier un système entier et l’évaluation pourra alors concerner en plus de la maîtrise des compétences utilisées et de la coopération, un mécanisme de correspondances entre les items afin d’atteindre un but commun et individuel.

Dans une optique de personnalisation du travail, on pourra ensuite distinguer les éléments inéchangeables par l’élève directement : les handicaps bien sur mais aussi les particularismes

Ce ne sont que des réflexions personnelles, un avis. Aucunement une posture d’exemple, j’ai dans ma carrière eu d’autres avis et souvent aucun avis du tout. J’ai testé tous les exemples dont je parle en éducation musicale et je pratique la double évaluation, c’est à dire que les élèves sont habitués aux codes couleurs du sphérier et au tutorat par pairs, mais ils ont aussi le détail chaque fois des compétences que je leur demande et enfin ils ont sur le bulletin une note que j’essaie de faire correspondre à tout ça, car la cohérence d’équipe et d’établissement m’est chère.

Je suis ouvert aux échanges ou à l’altérité, mais pas à l’agressivité. Le débat d’opinion n’est pas mon fort avec des inconnus, si jamais quelqu’un lisait cet article, je préfère prévenir tout de suite. Quoi qu’il en soit :

La question première sera toujours : évaluer : qui, quoi et pourquoi ?

2 réactions au sujet de « L’évaluation, réflexions personnelles »

  1. Je suis surpris … il n’y a pas de commentaire … Tu les effaces au fur et à mesure que tu y réponds ou alors les gens passent par d’autres moyens pour communiquer avec toi ?

    En tous cas, merci beaucoup de partager ton expérience et tes réflexions avec « l’internet mondial » ^^
    J’ai découvert pas mal de choses au travers de ce blog et de cet article en particulier … donc merci !

    1. Bonjour MonsieurMusique : je n’efface pas les commentaires, il n’y en a simplement pas beaucoup sur l’ensemble du site. C’est plutôt agréable même d’être dans une sorte de confidentialité publique relative, même si j’ai créé ce site dans l’espoir de dialogues autour de la pedagogie musicale, les retours se comptent sur les lignes d’une portée. Je filtre les spam mais pas le reste. Je serais ravi d’échanger des idées, des positions, des réflexions autour de l’éducation musicale. A bientôt !

Répondre à Guillaume Landré (alias MonsieurMusique) Annuler la réponse