Une approche de la créativité musicale en psychologie

À la lecture de :

Jean Pierre Mialaret

La créativité musicale in Psychologie de la musique (PUF, dir. Zanetti, 2018)

Kodaly , Martenot, Orff, Willems, fondent leurs méthodes d’initiation sur l’existence d’une dimension créative de l’activité musicale enfantine.

Des études psychologiques étudient la créativité spontanée chez l’enfant (Davidson et al, 1981, 1985 ; Dowling, 1984). Ils montrent l’élaboration de schèmes spécifiques d’activité productive et en analyse les caractéristiques structurales, sans appréhender leur élaboration.

Cette hypothèse semble montrer l’émergence de la dimension créative corrélative aux processus d’autoconstruction des connaissances et pratiques musicales. Elle implique aussi un rôle fort dans les échanges musicaux entre le sujet son environnement.

Notions de créativité

Elles se situent dans le cadre large de la créativité et les travaux afférents sont pour la plupart anglo-saxons. Il y a une ambiguïté et donc une difficulté quand à la définition de cette notion.

Les conceptions de la créativité proposées dans ce chapitre s’appuient sur les travaux de Leboutet (1970), Beaudot (1973), Carlier (1973), Winnicott (1975), Rieben (1978), Nicolaïdis et Schmid-Kitsikis (1982).

Le même terme de créativité rencontre celui de création mais alors que l’acte créateur nécessite un processus particulier (Anzieu, 1974), la créativité est davantage une fonction qui s’exerce (Debesse, 1974, p.258). 

n.b. on a là une conception temporelle pétrie de processus, impliquant une temporalité systémique (Wallas), voir articles précédents sur la créativité.

Ou « une disposition à créer qui existe à l’état potentiel chez tous les individus » (dictionnaire de Sillamy, 1980)

ou encore « la coloration de toute une attitude face à la réalité extérieure » (Winnicott, 1975, p.91)

La créativité est donc une notion psychologique qui peut être soumise à l’analyse multifactorielle de l’intelligence, présente selon les individus à des degrés variables ou comme une « dynamique particulière qui infiltre, structure, « colore » l’évolution entre le sujet et son environnement » (Mialaret)

Cette approche en tant que dimension psychologique (Guilford, 1973) se dévoile à travers la division de deux types d’activités cognitives :

  • la pensée convergente (rechercher la solution à un problème)
  • la pensée divergente (rechercher toutes les solutions possibles)

Selon Guilford, la créativité est associée à la pensée divergente et est composée de six facteurs :

  • trois de fluidité (capacité de quantité)
  • deux de flexibilité (diversité des idées) : « aptitude à produire une diversité d’idées dans une situation relativement peu structurée » (Carlier, 1973, p.22)
  • un d’originalité (réponse inhabituelle mais pertinente)
  • un de redéfinition (détour de la fonction initiale des objets considérés dans la solution) « l’aptitude à changer la fonction d’un objet ou d’une partie d’un objet et de l’utiliser » (Leboutet, 1970, p586).

Les tests de créativité de Torrance sont à considérer car les trois épreuves figures de sa batterie de test ont inspiré certains tests de créativité musicale : il s’agit ici de composer ou de compléter des images à partir d’éléments picturaux variés (Beaudot, 1980, p.72).

n.b. il est facile d’y voir un rapport avec le sampling et la musique électroacoustique. La recomposition chimérique implique la connaissances des schèmes procéduraux et inversement. Cette analyse peut-elle être mise en rapport avec la conception et l’évocation des monèmes musicaux de Levi-Strauss ? Peut-elle être en dialectique avec la rhétorique baroque ? Qu’en est-il du matériel nécessaire à l’émergence de telles compétences dans les salles de classe ? Peut-on imaginer un atelier musical analogue à un atelier d’arts plastiques ou une restructuration du modèle de la classe aujourd’hui ? L’enseignement actuel induit-il lui-même l’opacité de la recherche de la créativité par cette gradation culturelle d’une prétendue difficulté de compréhension du monde musical née d’un arrêt historique de la conception de ses schèmes ? Inclure un temps de créativité est-il possible matériellement alors que les enseignants d’éducation musicale semblent être les plus à même de le mener constatant leurs potentielles compétences ? Y’a t il des diplômes/matières/capacités de créativité qui doivent être pensés comme formatrices qui, pour moi, découleraient totalement des savoirs-faire dont on fait preuve au quotidien ? Il me semble enfin que l’aspect conscient et nécessaire de tels processus pré-cités ne sont pas compatibles avec un remplacement des enseignants par des artistes, qui par une non explication de leur art, viennent renforcer le désir intérieur et valoriser l’émergence de l’exemple (ce qui est tout à fait admirable et à défendre), mais au contraire nécessitent une formation des acteurs pédagogiques vers la créativité musicale afin d’en nourrir chacun, par soucis d’égalité. Enfin quid d’une analyse de l’origine de la créativité à l’heure où les neurosciences s’attachent à observer les parcours cognitifs à une échelle individuelle ? À l’heure des réponses anticipées d’une intelligence artificielle, peut-on ou doit-on changer de paradigme d’apprentissage afin d’utiliser l’outil numérique comme élément inclusif d’une créativité, et de réorientation peut-être fonctionnelle de la créativité dans des secteurs d’activités contemporains ?

Leboutet (1970) en souligne la négligence de la genèse et la dynamique de la dimension créative. C’est ce qui est à rechercher vers Piaget et ses analyses d’activités exploratoires par expérimentation active (Piaget, 1948, p.266) et par l’invention de moyens nouveaux de combinaison mentale (Piaget, 1948, p.288). On observe alors la fabrication d’objets nouveaux (Sinclair 1982). 

Mais il n’y a toujours pas d’explication totale de la dynamique , Lautrey (1981) montrant que la régulation cognitive est une notion insuffisante pour expliquer la coordination des actions dans la production d’inédit.

L’affect comme notion dynamique apparait alors indispensable pour expliquer l’émergence créative (Schmidt-Kitsikis, 1982, p.213).

En1926, Wallas repère quatre étapes du processus créatif : 

  1. préparation
  2. incubation
  3. illumination
  4. vérification.

Anzieu en 1974 propose trois phases :

  • « accomplissement d’un mouvement régressif, lié à une crise intérieure et mobilisant des représentations archaïques ;
  • saisie perceptive nette de certaines de ces représentations, permettant de les fixer dans le préconscient comme noyau organisateur agissant ;
  • transposition élaboration de l’image, de l’affect, du rythme ainsi saisi dans un matériau (écriture, peinteure, musique, etc.) dont on acquiert ou possède la maîtrise et/ou selon un code familier (mathématique, chimique, botanique, linguistique socioculturel, etc.) » (Anzieu, 1974, p.14)

Selon Anzieu toujours, la double capacité de régresser et de « fantasmatiser » fonde la créativité.

Cette notion freudienne de préconscient permet de mieux situer cette genèses la créativité. Elle sera utilisée par Kubie (1973), Anzieu (1974), Kris (1978), Luquet (1979), Rieben (1982), Oberlé (1989) entre autres. Nous sommes à la frontière entre le rapport à la réalité (conscience) et la rigidité de la fonction inconsciente ancrée dans le symbolisme et la répétition (Kubie, 1973, p.144)

La dynamique préconsciente permet donc « d’associer, de rassembler, de comparer et de synthétiser à nouveau des idées » (Kubie, 1973, p.140).

Winnicott évoque les liens entre l’enfant et sa mère (1975) et Oberlé souligne l’importance de la compréhension émergeant de l’articulation au contexte dans lequel elle surgit (1989).

Quid donc, de l’appropriation culturelle par rapport à la créativité ?

Ce rapport au monde est un rapport à soi, par le rapprochement d’éléments hétérogènes. La relation au jeu est ici très importante (Winnicott, 1975 ; Oberlé 1989).

Ce cadre a fait l’objet de plusieurs bilans dont ceux significatifs de Richardson, 1983, et de Webster, 1988. Leurs observations sont divisées en quatre parties non hiérarchisées :

  • les produits de la créativité musicale (spontannées et non explicitement imitatives)
  • le développement musicale de l’enfant par la dynamique créative
  • les processus psychologiques sous-jacents à l’acte créateur
  • les relations entre créativité et éducation musicale.

n.b. Ces points seront détaillés dans un article ultérieur.

Il y a là une hypothèse qui, sans étayer fondamentalement la notion de préconscient, implique la présence de l’oeuvre alors qu’elle n’est pas encore induite. La probabilité de l‘aboutissement pourrait, un jour peut-être, se mesurer voire se manifester par un calcul de métadonnées prédictives. De même que nous pouvons prévoir ce qu’un individu peut consommer par l’orientation de ses besoins dans un système fermé, nous pourrions prévoir sa créativité. Il y a là un paradoxe saisissant de cette cassure du nouveau, l’algorithme jouant un rôle d’inconscient collectif par la soumission aux symboles constituant même la source de la compréhension des schèmes procéduraux. 

Cela peut entrainer non seulement une prédictibilité de l’oeuvre en elle-même par l’analyse du créateur, mais l’émergence d’une bibliothèque d’oeuvres algorithmiques qui pourrait déterminer par analogie avec ces procédés de créations de schèmes, tout un contexte psychologique (et bien sur davantage) de la personne créative.

Si la prédétermination est antinomique avec la notion même de créativité, il y a fort à parier que cette notion soit se voit redéfinie, soit se libère de la notion de prédictibilité par une réappropriation de l’outil lui-même, c’est à dire, de chercher la créativité par la conception inclusive de l’outil prédictif. Les pistes d’exploration peuvent être immenses tant les champs d’expérimentation sont actuellement variés, mais il s’agit explicitement d’éviter l’utilisation de l’outil numérique en finalité.

Autre défi, il s’agirait pour l’enseignant de se familiariser avec l’émergence de l’intelligence artificielle tout aussi bien en terme d’outillage technique que de conception philosophique, ainsi une redéfinition de la finalité de la créativité apparaîtrait à la fois contemporaine (il ne s’agirait plus de faire composer sur un canevas culturel modal voire tonal quelques mesures binaires ou ternaires, clivantes en soi par une conception culturelle inégalitaire sur le territoire, et enfermées dans quelques siècles voire décennies mises en lumière aujourd’hui, mais d’en saisir la manipulation des schèmes parmi d’autres, voire de les minoriser au profit des composantes musicales détaillées dans un article précédent) et à la fois contextuelles (puisque le rapport au réel du plus grand nombre est la conscience de l’environnement). Il faudrait alors un outil modulaire d’analyse de l’environnement, ce que l’entrée par composantes musicales permettrait aisément. Un aspect plastique et des entrées d’analyse ingéniériques (que l’on pourrait regrouper sous un point de vue de lutherie contemporaine) émergeraient tout naturellement je pense. Une connaissance du monde numérique serait un pré-recquis mais plus avant, une conception complexe des objets aussi.

Enfin, d’un point vue égalitaire et citoyen, ces hypothèses permettraient une émergence populaire de la musique contemporaine, d’un point de vue conscient, non dévoué à l’objet numérique, mais permettant sa propagation sous des formes variées et modifiables par l’utilisateur même.

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