Apprendre à échouer 1 – Bachelard et les petites énigmes –

Pour Bachelard (La Formation de l’esprit scientifique et La Flamme d’une chandelle) , nous naissons vieux et nous nous débarrassons de nos préjugés peu à peu, et « la flamme nous force à imaginer », s’opposant ainsi au réel. Le dialogue entre les deux tendances incite donc en permanence à l’exploration et au réajustement. Le mouvement devient nécessaire et constitutif d’un troisième élément qui est l’apprentissage, face à ce que Bachelard appelle « l’obstacle épistémologique ».

C’est ainsi qu’on construit son savoir peu à peu. 

Cette notion d’obstacle n’est d’ailleurs pas à entendre péjorativement, mais plutôt comme la garantie d’une notion à découvrir et à s’approprier. La lutte n’est donc pas contre l’extérieur pour chaque individu, elle n’a pas de raison d’être d’ailleurs, mais contre sa propre ignorance qu’il conviendra de rencontrer, d’apprivoiser et même d’aimer. Ces derniers points ne seront pas directement explicités dans cet article même si la démarche générale les impliquent fortement.

Encore pour Bachelard, savoir sans refaire le chemin de pensée qui engage le problème, c’est éviter l’engagement scientifique, c’est transmettre une vérité aveuglément.

Le savoir s’inclue donc pour lui dans la nécessité de la compréhension de son existence, faisant jaillir l’expérience par la conscience du fait empirique et consécutivement, l’abstraction. On sait et on sait « pourquoi » et « comment » on sait, sans s’arrêter au seul mur de la transmission ou de l’opinion.

On peut, je crois, retrouver toutes les nécessités des mises en situation pédagogiques dans cet esprit, notamment la pédagogie de projet.

Si les champs de compétences incluent, pour l’un des quatre en éducation musicale, l’échange, le partage, l’argumentation et surtout le débat (qui est, en substance, la combinaison des trois précédents items), les associer à un contexte pédagogique devient pertinent mais les lier avec une nécessité plus grande, un « méta-contexte » pour me lancer dans le néologisme facile, devient nécessaire. Il ne s’agit plus de répondre aux questions du sens, de la cause ou de la méthode, mais de les éprouver chaque fois.

Ainsi naissent les petites énigmes de débat. Après un débat coopératif (diagnostic, ponctuel ou final – il n’est jamais « que » sommatif évidemment -) de séquence, et sans passer forcément par la créativité induite par le système du sphérier mais en focalisant sur la recherche du sens de l’exploration, j’ai décidé de tester la mise en application des notions travaillées la plupart du temps en plan de travail libre (sphérier) ou activités semi-dirigées, par des énigmes rappelant l’âge du capitaine, mais traitées avec la différence que toutes les solutions sont souhaitées, même les plus invraisemblables, du moment qu’elles répondent à une logique inductive. Les sujets sont donc proposés à la place des questions du débat.

Par exemple :

  • 6° à la suite d’une séquence sur « écouter/entendre/percevoir » où les notions sont l’identification de la musique (hymne, styles, goûts / danses, rondes, corps voix individuelles timbres et hauteurs / tempo, pulsation, ressenti physique / pourquoi deux oreilles, spatialisation, équilibre etc.), les énigmes répondues en débat sont :

Un accident d’avion a été observé sur les pistes d’atterrissage et de décollages de l’aéroport de Lalinde, pourtant aucune panne n’a été relevée au niveau des avions. Vers qui vont se porter vos soupçons et pourquoi ?

Un animal est tombé dans un trou et ne semble pas pouvoir en sortir. Il ne saigne pas mais nécessite votre aide. Qu’allez-vous indiquer précisément au vétérinaire pour qu’il puisse orienter ses recherches rapidement afin de le soigner ?

Dans un spectacle de magie, l’artiste, sans aucune aide d’un micro, est capable de répéter tout ce que son assistant murmure tout bas dans la salle. Est-ce si incroyable ?

Votre chat vers midi tout d’un coup se met à lever la tête et part en courant alors que tout semble normal et habituel. Le soir, vous apprenez que le voisin est très heureux de sa nouvelle télévision. Que s’est-il passé dans la tête de votre chat ?

  • 4° à la suite d’un cours sur la spatialisation, le geste, le mouvement, le codage, le sens de la musique, l’écoute, l’identification du timbre : 

Depuis qu’un bateau scientifique a capté, dans une zone maritime en Méditerrannée, des cris de dauphins, des poissons par centaines on disparu. Pouvez-vous expliquer pourquoi ?

Le sheriff d’une petite ville aux États-Unis, au XIX°, ne veut pas du télégraphe car il préfère le courrier. En tant que scientifique à cette époque, qu’en pensez-vous et qu’allez-vous lui dire ?

Vous êtes à la préhistoire, et vous avez vu un ours rentrer dans une grotte que vous estimez très profonde. La nuit va tomber et il va pleuvoir, c’est votre seul abri, mais vous n’êtes pas armé. Quelle va être votre stratégie ?

Votre grand-mère s’est mise à la guitare électrique et au hard-rock, et elle dort à côté de votre chambre dans votre maison toute en bois. Vous n’avez que votre portable avec forfait bloqué et vous ne pouvez passer qu’un appel. Qui allez-vous appeler ?

  • Au lycée en option, en 2nde, sur une dialectique entre patrimoine individuel et culture collective, sur la base d’une construction de repères chronologiques :

Un archéologue trouve un instrument en forme de violon totalement conservé et donc indatable dans une caisse hermétique, dans le coffre fort d’un hotel particulier. Pouvez-vous l’aider ?

Dans une grotte, en vous promenant vers Nice sur une pierre par terre, on trouve en alphabet syriliique les lettres : épitaphe à Seikilos, et quelques signes étranges au dessus de chaque lettre. Que faites-vous de la pierre ?

Sur une partition, une dédicace est écrite : « à un génie ». Vers quel style allez vous diriger votre interprétation de cette partition ?

En randonnée en Corse l’été, vous voyez au bord du chemin des pierres polies au nombre de cinq et qui sont disposées en rang, l’une à côté de l’autre, chaque fois l’une plus grosse que la précédente. Qu’allez-vous en faire ?

Dans un vieux disque dur des années 2010, un dossier universitaire contient un document texte sur lequel est écrit « musique sans paroles » et un fichier son endommagé. Dans quel dossier de musique allez-vous le classer sur votre appareil ?

Pour l’instant l’observation de cette activité est une profusion de créativité dans les réponses, avec l’obtention de liens entre l’information, le contexte et le « méta-contexte » chez certains élèves. Le système est donc à améliorer. Il présente un gain de temps et d’efficacité sur le temps de résumé de cours que je propose en chaque début de cours, fait par les élèves, sur les 55mn allouées théoriquement. A la différence du sphérier, il ne permet pas à tous de participer de façon évidente, mais il permet un recadrage plus rapide. Il permet aussi aux élèves qui ne sont pas encore familiers avec l’autonomie une sécurité qui leur permet davantage d’expression puisque je reste vecteur de l’énoncé des énigmes.

Je pense donc me diriger la prochaine fois vers un procédé hybride et progressif, où l’élève pourrait formuler les questions une fois la démarche acquise.

Les retours affectifs des élèves semblent très positifs.

Je suis en train de travailler sur une séquence complète autour du travail fascinant de Jean-Pierre Astolfi, qui est en droite ligne avec l’ambition d’inclure l’erreur comme élément d’apprentissage déterminant et que je publierai une fois terminée.

Laisser un commentaire