Poésie, je slame ton nom

Séquence français-éducation musicale , de la même façon que l’audiobiographie : ce cours mixte est né d’une habitude de travail maintenant établie entre ma collegue/amie V. Pergola et moi. Comme précédemment, notre volonté est de travailler ensemble car nous partageons une même attitude d’enseignement et des méthodes très similaires. Mais, renforcés par notre premier travail, par l’impact auprès des élèves non pas dans une priorité de plaisir (même s’il faut avouer qu’il a été très présent ) mais dans le fait qu’ils ont tous travaillé ( à des degrés d’implication certes différents , il n’empêche que c’est un fait , ils ont tous travaillé, sur deux classes de troisièmes, et nous associons cette réussite au plaisir de travail aussi ), nous avons décidé de continuer l’aventure.

Ce petit préambule très pragmatique, sans idéologies particulières , hors la volonté de varier les activités en nous servant de plusieurs aspects pédagogiques, en positivant le travail des élèves , en les encourageant et en restant rigoureux au mieux de notre possible, sert d’affichage authentique de notre proposition interdisciplinaire/ transdisciplinaire pour le lecteur éventuel de cet article.

Transdisciplinaire parce que ma collegue continue son cours normalement sur son temps devant élèves. Interdisciplinaire car notre emploi du temps permet la co-animation du cours et nous restons deux heures avec les élèves ensemble au lieu d’une séparée. Je vais en décrire les grandes étapes du point de vue de ce temps commun.

La séquence commence par la chanson des « Restos du cœur » , « Liberté : j’écris ton nom » adaptée du poème éponyme de Paul Eluard . L’apprentissage passé ( la chanson est facile, en 20mn les élèves la possèdent ), nous filmons les élèves qui doivent un à un réciter un des vers du poème , qu’ils choisissent . Ils commencent ainsi par s’approprier la structure et surtout l’idée du poème .

Nous étudions le texte sur l’image de la fresque de Fernand Leger ensuite , avec un PowerPoint où chaque élément est classé suivant le modèle de métaphore utilisé par Eluard ( ma collegue en parlerait certainement bien mieux que moi ) , des éléments sur lesquels il écrit le nom « Liberté » :

  • élément concret , exemple : « sur mes cahiers d’écoliers », 
  • élément possible mais difficilement réalisable , ex. « sur les ailes des oiseaux » , 
  • élément impossible , ex. « sur les sueurs de l’orage »

Le programme original comprend tous les éléments du texte mais il est sur le pc de la salle de français et je n’y ai pas accès chez moi lors de la rédaction de cet article … Mais vous pouvez vous imaginer la même chose, on déplace les éléments avec les élèves et on recollorie les cases.

La deuxième séance consiste en un rappel du chant et une écoute de la voix d’Eluard en décrivant son enregistrement et les indices qui nous permettent de confirmer ou déduire l’époque d’enregistrement ( bruit blanc, parasitage sonore, fréquence aiguë de la voix, appel dans la diction à l’espoir et l’engagement etc.) , de le situer en 1942 et ainsi d’amorcer le débat qui suivra.

Puis nous en faisons un montage avec une application multicam « Vidibox ». Le montage est d’abord dans l’ordre du texte, puis nous faisons un autre montage déstructuré où les libertés de chacun se mélangent visuellement et acoustiquement, les phrases sont entendues simultanément ou dans des ordres recomposés.

Nous passons après au débat coopératif avec le thème de la liberté. Très vite, chacun s’exprime sur ses libertés et nous les recensons toutes. Nous avons recueillis toutes sortes de libertés des élèves , cela allait de « je suis libre de porter les vêtements que je veux » à « je suis libre de croire en ce que je veux » etc. Chaque eleve s’exprime , s’il y en a qui ne « savent » pas, d’autres leurs proposent des idées acceptées ou non. Puis, comme à chaque fois où nous chronométrons les activités , nous fixons le texte définitif du recueil de leurs propositions.

Après une écoute d’un worksong, nous nous rendons compte de sa dimension sociale, de son origine, de sa fonction ( toujours par le débat , détail amusant , parmi les exemples de worksong que les élèves connaissaient et qu ils ont pu comparer à celui proposé en cours, la chanson des sept nains du dessin animé de Disney « Blanche-Neige » « hey ho, hey ho » est chaque fois revenue)  et des procédés musicaux utilisés . Pour manifester l’aspect responsorial, nous enjoignons après une relecture parlée mais a tempo du texte de leurs libertés, un élève qui pourrait faire passer ce message à toute la classe.

Nous nous mettons en situation, comme si nous étions des travailleurs esclaves ou prisonniers et nous marchons pour marquer le tempo, alors qu’une eleve improvise une mélodie reprise par le groupe sur chaque phrase de leurs textes. Une forme de musicalité et d’engagement apparaît . C’était un moment très fort du cours, nous étions tous émus et motivés de chanter nos libertés . Ces deux worksongs de classe ont été enregistrés .

Nous écoutons ensuite Grand Corps Malade « Je suis Charlie » et nous en analysons la structure et le figuralisme musical. Nous pouvons dessiner dans le vide en une sorte de solmisation picturale abstraite les hauteurs et nuances, comme une calligraphie invisible dont le mouvement symbolise le son.

Vient un travail par ilots de creation mais vite destiné à devenir individuel. La consigne est de réaliser au début 4 vers d’une strophe sur la liberté puis au moins 10 par élève. Les rappels de rimes , de structure strophique aident la création. 

Les exemples des élèves sont aussi en salle de cours et nous n’avons pas encore terminé tous les calligrammes à l’heure de la rédaction de l’article.

Ils en realisent ensuite des calligrammes en fixant ce que nous avons initiés par notre travail sur le slam précédent . La forme du texte symbolise le fond. L’application utilisée est Typedrawing mais on en a l’équivalent avec Festisite en ligne ( merci beaucoup à la formidable Nathalie Bécoulet ! )

Il nous reste deux séances , nous leur avons demandé ce qu’ils comptaient faire de leurs slams une fois achevés et nous avons décidé ( en les orientant un peu il est vrai…) d’en chanter quelques-uns à des personnes pour qui la liberté avait une raison d’être importante, qui en ont peut-être d’autres définitions et d’autres vécus , pour qui la conscience des libertés est importante chez autrui et en particulier les jeunes générations , des gens qui ont besoin d’entendre des idées de liberté : les résidents de la maison de retraite de notre ville.

Ce sera l’aspect sommatif de notre évaluation , un concert slam, que nous allons essayer d’organiser en café-slam.

Même dessin que le calligramme du dessus mais chaque élément sonore est découpé. Le résultat est une création contemporaine ayant pour support le slam de chaque élève. La liberté de l’œuvre libre , une mise en abîme de la liberté en quelque sorte.

Un autre aspect que nous allons traiter est l’enregistrement de nos slams et leurs déstructuration pour inventer un calligrammophone ( l’idée traînait depuis la carte des transformations et elle s’est finalement transformée en ça : ) , c’est à dire un mixage sonore en creation contemporaine d’une déstructuration du son en forme de calligramme sur le plan du déroulement temporel . Je vais baptiser cet outil l' »audiographe » ( parce que calligrammophone, c’est moins heureux ) en référence au mixage des deux matieres , avec les racines latine et grecque mélangées comme le français et la musique se mélangent. 

Pour l’instant, le constat est le même qu’avec le travail sur l’audiobiographie : tous les élèves travaillent. Est ce que c’est parce que les élèves sont très sympathiques ? Parce que notre habitude de travail avec ma collegue est maintenant confortable ? Parce que notre travail est original par rapport à ce que nous avons pu proposer par le passé, varié dans les supports , façons et types d’activités , accès sur les créations et le projet ? Parce que l’interdisciplinarité et le mélange des pédagogies est propice à l’épanouissement de chacun ? Parce que notre attitude bienveillante et attentive ( on essaie le plus possible en tout cas ) , renforcée par le temps de différenciation que permet l’utilisation d’une pedagogie inversée favorise et encourage la créativité et la sortie de la zone de confort ( ou d’inconfort) traditionnelle de chacun ? Je n’ai pas de réponses toutes faites ni de vérité absolue, mais j’aime à croire qu’il y a un mélange de toutes ces données réunies car ce que je constate est par contre sans ambiguïté.

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